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Tarquin Sinan, 2013

L’art de la proposition

En art, rien n’est devenu plus compliqué que de juger, critiquer ou estimer une œuvre d’art contemporain. Depuis les théories herméneutiques du XVIIIème siècle, confirmées par des décennies d’art moderne puis contemporain, l’œuvre n’est plus un objet fini se prêtant à un jugement esthétique, mais une proposition dont on jugera subjectivement l’intention.

Cette intention créatrice est au cœur du travail de Rémi Tamburini. Ou, pour être plus précis, elle en est le moteur. A la manière d’un ingénieur, l’artiste conçoit l’œuvre autant qu’il la crée. L’objet physique est la matérialisation d’une conception scénarisée, l’illustration d’une proposition. En effet l’artiste propose, et ce à plusieurs niveaux. Premièrement de par la conception de chaque œuvre, qui finit par être le témoin d’une réalité possible, potentielle. Les sources permettant cette scénarisation si précise sont nombreuses et assumées. Parmi les plus évidentes, citons le cinéma, dont il emprunte l’univers mais également les moyens. Car au-delà de l’aspect scénarisé de son travail et de l’influence du cinéma fantastique et de science-fiction (The day the earth stood still, ou encore X-files), la mise en scène participe à l’immersion au sein de la proposition. Plus qu’un objet d’art, l’artiste offre un espace d’art, une structure d’adhésion à ses propositions. Et cela malgré les contraintes que cela suppose lors de l’exposition des ses œuvres. L’implication du concepteur est telle. Celle-ci s’articule d’ailleurs avec une importante part de recherches. La fiction ne suffisant pas, la science étoffe le propos de l’artiste. Les recherches de Carl Edward Sagan notamment. Digérées, ces recherches deviennent une source créatrice, comme les témoignent les œuvres Contact Container ou encore  Sonar Soundbox.

L’objet fini est lui aussi une proposition. Notre installateur flirte entre le statut d’artiste et de créateur scientifique, en offrant une fonctionnalité tangible à chaque projet. Du choix des matériaux au calcul du degré d’assise des sièges de contemplation stellaire, chaque objet semble à quelque millions de dollars de se réaliser.

Le scénario et l’objet sont complétés par quelque chose de moins tangible mais de tout aussi travaillé : le mythe. Au travers d’un phénomène d’évolution par étapes,  le sculpteur cherche à faire basculer l’objet dans le mythique, par simple changement de statut. Ceci est orchestré par le concepteur: photographies retouchées, textes, installations publiques sont autant d’arguments dont l’artiste use pour donner corps à son travail, et ce, de façon ludique. Ce dépassement de statut ramène aux réflexions théoriques issues des années soixante. Cette décennie se concentrait sur l’objectité de l’œuvre d’art et sur l’importance de l’espace contenant non seulement l’œuvre, mais élégamment le spectateur, celui-ci devenant finalement acteur. Cette relation triangulaire est réactualisée par notre scénariste. L’espace est beaucoup plus concret, jouant en réalité le rôle de cadre (dans le sens goffmanien du terme). L’espace qu’il nous définit n’en vient pas à nous dicter une compréhension de son travail, mais il pousse à l’adhésion de la proposition de l’artiste, en nous invitant à redéfinir notre rapport au réel et au(x) possible(s).

L’invitation de l’espace étant plus claire, mieux définie, le spectateur, au sein de cet espace, est donc un acteur plus conscient. Ceci s’explique peut-être par l’envie de l’artiste de nous faire croire à son travail, ou plus largement à son univers. Dépassant  le dialogue de sourd instauré auparavant par la sculpture-objet avec un spectateur non conscient de son rôle (pourtant majeur), l’ingénieur propose un dialogue clairement défini. La raison de cette évolution pourrait s’expliquer par le fait que le dialogue est icinécessairepour l’artiste qui offre autant à imaginer et autant auquel adhérer.


Richard Neyroud, 2011

What is an example of a convergent sequence of rationals whose limit is irrational ?

Le monde utopique de Rémi Tamburini s’appuie sur une recherche scientifique véridiques de l’astrophysicien Carl Edward Sagan (1934-1996) concernant la vie extraterrestre.

Celui-ci s’est notamment fait connaître pour avoir mis en place un programme de recherche d’intelligence extraterrestre et, aussi, pour avoir réalisé plusieurs émissions télévisées de vulgarisation scientifique dès 1970. Sa notoriété de vulgarisateur n’aura pas été sans lui attirer la suspicion des membres de la communauté scientifique. Force est cependant de constater qu’il est à l’origine d’un engouement du public pour l’astronomie. Consultant et conseiller de la NASA, il a participé à plusieurs missions martiennes et vers les planètes géantes. C’est lui qui a l’idée de doter les sondes Pioneer-10 et 11 et Voyager-1 et 2 de « messages » (plaques gravées de symboles ou vidéodisques) destinés à d’éventuelles civilisations extraterrestres.

Rémi Tamburini est un de ses continuateurs… Il explore les relations étroites entre le domaine scientifique et ce qui relève de la science-fiction, laissant le bénéfice du doute quant à l’existence d’une vie extraterrestre. I want to believe,slogan emprunté à X-files et repris par l’artiste, pousse les portes de la fiction vers un monde des possibles.

Les communications extraterrestres sont élaborées au sein de la PAA (Proto Artistique Administration) : entreprise comprenant un seul individu (Rémi Tamburini lui-même) qui élabore de façon artistiquedes prototypes. Par ailleurs, une correspondance écrite avec la NASA, des affiches, un tampon, une cabane de chantier, des combinaisons participent à un scénario dans lequel on pénètre. Les missions de la PAA sont élaborées dans un espace défini dans lequel est disposé un bureau et les documents administratifs ayant servi à réaliser les prototypes.

Parmi ces prototypes comptent Contact Container contenant des symboles inspirés de la sonde Pioneer ainsi que des œuvres d’artistes scellées. Quant à Sonar Sounbox, il s’agit d’un dispositif composé d’une platine diffusant l’enregistrement de baleines à bosse en accouplement à travers un aqua-studio, aquarium qui canalise et transforme les sons en vue d’être envoyés dans l’aire spatiale avec l’aide de la NASA. À l’appui de Star Trek IV : The Voyage Home(1986) dans lequel le chant des baleines à bosse émet des signaux déterminants pour l’humanité, Sonar Soundboxvise à interagir avec des populations galactiques.

Cinéma, fiction et faits scientifiques explorent chacun à leur manière les limites de l’entendement. Les voyages imaginés par Rémi Tamburini à travers sa PAA sont matérialisés dans les vaisseaux prototypes et verbalisés dans les courriers adressés aux responsables administratifs et scientifiques de la NASA : « Les grands esprits se rencontrent, dit-on, pourquoi pas dans l’Espace ? » (Lettre adressée le 4 octobre 2010 à M. Charles F. Bolden). La porte est ouverte à la rencontre d’un monde extraterrestre.

En prolongement, la série des Canularsnourrit les croyances aux OVNIs. De la création d’une véritable soucoupe gonflée à l’hélium au vestige des restes de 19 assiettes lancées dans les environs de Waterloo le 14 août 2011 à 16h40, le canular est entier. Abandonnés à même le sol d’exposition, les objets dès lors identifiés sont présentés avec leurs vidéos et photomontages comme les traces d’une absurdité.

L’observation réelle d’OVNI la plus célèbre et la plus intrigante est l’écrasement d’une soucoupe volante à proximité de Roswell au Nouveau-Mexique en juillet 1947. L’événement suscite des questionnements quant à la véracité de cet événement alors que les autorités américaines dissimulent toujours les informations à sur l’Affaire Roswell : certains certifient qu’elles détiendraient la preuve, tenue secrète depuis 1947, de la présence d’une civilisation extraterrestre avancée. Par la suite s’est développée une discipline, l’ufologie, qui consiste à recueillir, analyser et interpréter les données se rapportant au phénomène OVNI, par exemple des photographies, des témoignages ou des traces au sol.

Le sujet intéresse la NASA sous un angle scientifique et Carl Edward Sagan entend bien dialoguer avec ces vies encore inconnues.

Quant à la PAA, elle crée ses propres Canularspour faire perdurer le mythe… Plus rêveur qu’utopiste, Rémi Tamburini construit un univers sur les bases de l’irrationalité où les folies scientifiques des années 70’ rejoignent la science-fiction.